Feeds:
Articles
Commentaires

Il y a bien longtemps, dans un pays froid et lointain, le traditionnel sapin de Noël était surnommé l’arbre de vie. En réalité,  on le désignait ainsi car on le décorait de pommes, symboles de fertilité.  Mais ce que les adultes ignoraient, c’est que le soir du réveillon,  le sapin était illuminé par des centaines de petite fées qui apparaissaient une fois que tout le monde était couché. Elles benissaient les foyers pour l’année à venir. Or, seuls les enfants avaient le pouvoir de les voir, car l’innocence du coeur nous rend sensible aux éléments surnaturels.

Aujourd’hui,  le monde va à une telle vitesse que même les plus jeunes ne voient plus ces petites créatures.  Mais Emma, petite fille de six ans, croyait toujours en la magie de Noël.  Elle refusait de penser que les cadeaux provenaient des parents.

Le 24 décembre, Emma et sa famille se préparaient à célébrer le réveillon.  Tout le monde s’était réuni pour le dîner. Alors que les parents faisaient griller toast sur toast dans la cuisine pour l’apéritif,  la fillette regardait la télévision avec Jim, son grand-frère.  Le sapin, dans le salon, était éclairé par des guirlandes multicolores.

Soudain, elle aperçut des petites lumières blanches entre les branches. Curieuse, elle s’approcha de l’arbre et s’étonna de deviner de petites ailes autour des lumières. Elle comprit aussitôt de quoi il s’agissait. Elle s’écria :

– Jim, regarde, il y a des fées dans le sapin !

– Arrête de dire des bêtises ! Les fées n’existent pas !

– Mais si, je t’assure ! Regarde !

– Laisse-moi tranquille ! Je regarde la télé ! Répondit son frère.

Dépitée,  elle alla trouver ses parents qui continuaient de tartiner les toasts.

– Papa, maman, il y a des fées dans le sapin !

– Mais non, ma chérie,  il s’agit des lumières des guirlandes, affirma son père sans daigner lever les yeux.

– Ah oui ? Et depuis quand on a des guirlandes blanches ? Demanda Emma, qui commençait à s’énerver de constater que personne ne la croyait.

– Ma puce, ce sont certainement des reflets de la cheminée sur les branches, lui répondit sa mère en douceur.

– Hm, sans doute…

Et comme les enfants ne gardent pas longtemps leurs préoccupations,  elle mit ses observations de côté.

La famille arriva enfin pour le repas, qui se déroula dans la bonne humeur festive de Noël. À minuit, les cadeaux furent échangés. Puis chacun rentra chez soi ; Emma, Jim et ses parents allèrent se coucher. Mais la jeune fille ne parvenait pas à s’endormir.  Elle se leva et se rendit dans le salon. Les fées étaient toujours là.

– Que faites-vous ici ? Demanda-t-elle.

– Nous sommes magiques. Nous apparaissons dans chaque foyer à chaque Noël.

– Mais, pourquoi ? S’étonna Emma.

– Nous essayons d’apporter le bonheur à chacun.

– Alors pourquoi certains sont-ils malheureux ?

– Parce que les enfants ont oublié de nous voir. Votre époque est si égocentrique et tellement superficielle que vous avez perdu l’essentiel de cette fête.

– Et pourquoi je vous vois ? Insista-t-elle.

– Emma, ton coeur est pur et sincère,  mais trop peu d’enfants sont comme toi. Peut-être que tu parviendras à ouvrir les yeux de certains. Mais ton pouvoir nous permet de garder espoir et de continuer de venir rendre visite aux humains.

Les parents d’Emma, qui l’avaient entendue parler, la rejoignirent au salon.

– Mais, enfin ! Tu ne dors pas ! S’écria sa mère.

– Non, maman, je parle aux fées !

– Aux fées ? Encore cette histoire !

– Mais cest vrai ! Regarde !

La mère, évidemment,  ne vit absolument rien, car elle était trop âgée pour cela.

– Ma chérie,  il n’y a aucune fée ici. Retourne te coucher, lui dit son père.

– Mais papa…

– Ça suffit ! Si tu n’obéis pas, le Père Noël ne viendra plus te voir ! Allez, file dans ta chambre !

Résignée,  elle suivit les ordres paternels.

La nuit passa. Mais que ne découvrirent-ils pas sur le sapin ? Des pommes, plein de pommes blanches et luisantes comme la neige !

– Vous voyez ! J’avais raison et vous ne m’avez pas crue !

– C’est vrai, ma puce. Désormais,  nous ne douterons plus de l’existence des fées, répliqua sa maman.

– J’ai même une idée,  ajouta son père,  si nous leur offrions des pommes à notre tour l’an prochain ?

– Oh oui ! Ce serait super ! S’exclama Jim.

Et ils tinrent leur parole.

Depuis, Emma a grandi. Elle a eu des enfants, tout comme son frère.  Et tous, ils apportent des pommes qu’ils déposent au pied du sapin.

Grâce à la foi d’Emma, de petites particules de bonheur se propagent dans le monde. Et si les enfants ouvrent tous leur coeur, ces particules se multiplieront et bâtiront un monde meilleur.

Lundi 12 mars 2007

Cher Monsieur J.,

Loin de moi l’idée d’une correspondance unilatérale ! Peut-être ai-je détourné, comme vous dites, la conversation. C’est que je n’ai pas grand chose à raconter. Mon avenir professionnel ? Certainement professeur de Lettres Modernes, après avoir ciré les bancs de la fac deux années de plus. Mais les oraux m’effraient. Je dégage tant de lassitude que le juré risque bien de ne pas m’en croire capable.

Sinon, oui, j’ai déjà eu un petit ami. Pour employer une expression plus légère, j’ai même déjà perdu ma virginité. Mais rien ne comble une vraie amitié. Et, de toute façon, le dernier jeune homme en date m’a quittée au bout de deux mois car il s’ennuyait avec moi. Vous voyez ? Je ne vous mentais pas en affirmant que je n’ai rien de plaisant. Rien de déplaisant non plus. Disons que je fais partie des meubles. On me voit, on sait que je suis là, mais personne ne s’inquiète si je ne suis pas là. Quand j’étais en seconde, il paraît qu’un de mes camarades a même demandé à ma voisine qui était cette fille que le professeur venait de noter absente. Je ne sais pas si cette chanson est dans votre répertoire, mais je suis un peu comme « Mr Cellophane », dans la comédie musicale Chicago. Sauf qu’on me voit.

Je ne peux comprendre votre douleur, car je suis fille unique, et ma mère est toujours en vie et en bonne santé. Mais je compatis. Malgré nos différents, j’aime mes parents, et je ne sais pas ce que je serais devenue s’ils n’avaient pas été là. Finalement, j’aurais peut-être tenté de me suicider…

J’espère qu’Emma fut à la hauteur de vos espérances. Quant à moi, je vais me consoler de votre refus de parler de votre ex femme dans les lettres de Valmont à Merteuil. Il en paie le prix, mais il ne craint pas de se dévoiler, lui.

Cordialement,

Sarah

Mercredi 14 mars 2007

Sarah,

Votre lecture vous a-t-elle procuré quelque réconfort ? Pour ma part, je n’aime pas Les Liaisons dangereuses. Il est vrai que ce roman est très bien écrit. Cependant, les aventures amoureuses de la noblesse du XVIIIème siècle ne m’apportent que du malaise, quand la réalité est déjà si difficile. Mais votre froideur forge une carapace qu’une simple histoire ne peut briser. N’avez-vous donc jamais aimé ? Ou est-ce parce que vous avez souffert de cette dernière séparation que vous la décrivez avec autant de sang froid ?

Vous êtes insaisissable. Et cela m’intrigue.  Je suis persuadé qu’un juré verrait en vous cette jeune femme mystérieuse que je découvre, et que votre détachement sera considéré comme un atout face à vos futurs élèves.

Emma ne m’a guère consolé. Flaubert a joué de ce destin tragique, et le personnage suit sa vie en allant de déception en déception. Toute tentative de contrôle lui échappe. Le suicide devient alors pour elle la seule délivrance et le seul vrai choix qu’elle aura fait. Donc non, aucun plaisir à retourner auprès de Madame Bovary, si ce n’est pour la qualité de style.

Il est vrai que la mort de ma mère ne saurait tarder. Mais je crois qu’il ne nous reste plus qu’à accepter le destin dans ce genre de situation. Vous avez dit, dans votre première lettre, ne pas croire en Dieu. Moi, je ne crois pas au hasard. Et je suis persuadé que la mort n’est qu’un renouveau. Mon ex épouse ne voyait pas les choses de la même manière. Ce fut une des raisons qui nous sépara. De toute façon, nous n’étions pas sur la même longueur d’onde.

Quoiqu’il en soit, je vous souhaite de garder vos parents près de vous aussi longtemps que vous le pourrez. Malgré tout, ils vous offrent un refuge au monde extérieur non négligeable. Pensez donc à Jeanne, cette petite innocente de Maupassant, qui demeure chez elle, dans les paysages de son enfance. C’est là que le roman commence ; c’est là qu’il se termine.

Je vous laisse réfléchir là-dessus.

Cordialement,

J.

 

Vendredi 17 mars 2007

 

Cher Monsieur J.,

Votre réflexion à propos d’Une vie est très intéressante, je le reconnais. Mais je suis un peu moins naïve que cette chère petite Jeanne. Quant au foyer parental, c’est vrai qu’il m’offre un refuge, ainsi que vous le dites, mais je ne m’y épanouis pas pour autant. Ne vous méprenez pas : je ne suis pas indifférente ni ingrate envers eux. Mais je n’éprouve pas de réconfort ou de bien-être auprès d’eux malgré tout.

Hier soir, je me préparai pour aller écouter un groupe de bélè, la musique et la danse traditionnelles venues des esclaves martiniquais, dans un restaurant sur la plage. Je décidai de porter simplement une longue jupe vert émeraude et un haut sans manche aux ronds vert anis et bleu azur. Je me maquillai légèrement devant la glace. J’étais un peu fatiguée, mais ça faisait une semaine que j’avais attendu ce concert. J’étais donc motivée pour m’y rendre, même seule.

La route fut longue, et quelques préoccupations envahissaient mon esprit. Je choisis cependant de laisser tous mes tracas de côté, en espérant que la soirée soit belle.

A l’entrée du bar, des vigiles fouillèrent mon sac et vérifièrent que je ne portais rien de dangereux sur moi. J’entendais déjà l’appel des tambours au loin. J’étais tellement heureuse que je me précipitai vers la scène, sans rien voir autour de moi. Je pense même que j’ai dû courir afin d’arriver plus vite.

Arrivée vers les marches qui mènent au sable, devant la scène, c’est là que je Le vis. Vêtu d’un débardeur et d’un pantalon blancs, avec ses jolies tresses plaquées. Je ne me doutais pas qu’Il serait là. Nous nous sommes souris, un peu gênés. Finalement, j’osai m’approcher de Lui pour le saluer. Il était venu avec des amis. Une fois la bise faite, je préférai me mettre à l’écart de peur de le déranger. Lui resta discuter avec ses amis. Le groupe jouait un morceau langoureux. Mon coeur battait la chamade au rythme des tambours. Je savais qu’Il était là et qu’Il me voyait. Pourtant, je m’empêchais bêtement de Le regarder.

Je Le laissai là pour commander une bière et fumer une cigarette. J’essayai tant bien que mal de me concentrer sur la musique, c’était impossible. Mes mains tremblaient tellement que je faillis lâcher la bouteille en verre qui promettait une détente proche dont j’avais bien besoin. J’espérai qu’Il ne le vit pas. Je retournai près de la scène, près de Lui.

Là, un homme que je connaissais et qui me charmait depuis quelques jours me surprit en apparaissant. J’étais rouge de gêne. Mais je tentai de n’en laisser rien paraître.

Lorsque les musiciens prirent une pause, Nous décidâmes de nous éloigner pour nous asseoir. A ce moment là, Je vis passer devant moi mon ancien ami accompagné de sa nouvelle conquête. Décidément, c’était bien ma soirée ! Je signalai à mon cavalier que c’était mon ex. Il fut mal à l’aise, mais certainement pas autant que moi. Malgré cette situation, le seul que je voyais était cet ange en blanc. Je ne cessais de Le chercher du regard. Quand la musique reprit, il me proposa de me rapprocher de la scène tandis qu’il allait aux toilettes. Il n’avait pas prévu de rester longtemps. Là, l’ange était devant moi à gauche, mon ancien à droite. Quand ce dernier me vit, il voulut me saluer. Or il m’avait tellement blessée que je le repoussai par un « On se connaît ? ». Après quoi il tourna les talons.

Mon ami me rejoignit à mes côtés. IL était toujours au même endroit. Quelques minutes plus tard, cet ami partit pour rentrer chez lui. Moi je restai là, derrière mon apparition, perturbée par toutes ces émotions mélangées. Mais un seul retenait mon attention et mon coeur. Je tentai de me cacher sous les carbets en bois. Je reconnais que je pouvais ainsi L’observer sans craindre que ses yeux ne se posent sur moi. Mes jambes restaient immobiles sur le sol. J’avais l’impression que je pouvais défaillir à tout moment.

C’est là que le groupe se mit à appeler les danseurs à les rejoindre. Je me terrai davantage. C’est alors qu’Il me prit les mains pour me conduire sur la piste de danse. Je fus libérée de toutes ces émotions parasites pendant trois minutes tandis que mes muscles et mes nerfs se détendaient. A la fin du morceau, je retournai dans mon coin, croisant les doigts pour que cette situation ne se renouvelle pas. L’ancien quitta le lieu peu après ce moment. J’étais enfin libre d’apprécier ce contact univoque. Il envahissait mon espace et mon âme. Lorsque les chansons Lui plaisaient, Il levait les bras au ciel, presque en transe. Dieu qu’il était beau ! Il l’avait toujours été, mais peut-être que le sentiment de perte avait exacerbé mes sens. J’avais envie qu’il se retourne, qu’Il me propose de danser avec lui. Il ne le fit pas. En même temps, je Le comprenais : Il était tellement plongé dans le son que rien ne Le perturbait. C’était comme s’Il ne voyait rien à part le groupe.

La fin du concert arriva. Je L’attendis quelques minutes à l’extérieur du bar. Je croisai alors un collègue avec qui je me mis à bavarder vers le parking. Au moment où je tournai la tête, Il était juste derrière moi. Gênée, je courus presque à ma voiture, l’ouvris, mis le contact, et filai sans rien dire.

ça se précise…

Vendredi 2 mars 2007

Monsieur J.,

Vous êtes tout excusé pour le délai. A vrai dire, je n’attendais pas de réponse de votre part après ma lettre précédente. Je suis étonnée d’avoir le pouvoir de distraire quelqu’un. Pourtant, je n’ai rien d’extraordinaire. Vous dites que vous passez votre temps à analyser les textes de notre patrimoine. Au moins eux ont-ils un intérêt littéraire et les personnages possèdent une psychologie captivante. Moi, je ne suis qu’une coquille vide. Vous l’avez dit vous-même : je ne connais rien de la vie, mais elle me déçoit déjà. Mais je suis toujours là, même si j’erre dans les couloirs comme un fantôme. Que voulez-vous ? Je m’y suis faite.

Au fait, pourquoi cherchez-vous à garder votre identité secrète ? Serait-ce honteux pour vous de vous dévoiler ? Vous avez déjà commencé, alors ne vous arrêtez pas en si bon chemin !

A ce sujet, je me permets de vous demander de quoi souffre votre mère. J’en suis désolée, car je me doute que cette situation ne doit pas être simple. D’autant plus si votre ex femme vous en veut autant. Quels sont les torts qu’elle vous reproche ? Sans doute une histoire classique de tromperie. A moins qu’il ne s’agisse d’une de ces intrigues complexes dignes  d’un roman du XIXème siècle dont Flaubert se vanterait tant, pour être parvenu à plaire à ses lectrices, pauvres femmes qui n’ont que cette occupation pour remplir leur journée ! Mais je m’égare…

Je suis peut-être trop indiscrète. Vous ne pourrez pas dire que je ne vous avais pas prévenu.

Sur ce, je vous laisse à vos analyses.

Cordialement,

Sarah.

Mardi 6 mars 2007

Mademoiselle Sarah,

Votre complaisance et votre curiosité me plaisent ! La jeunesse a décidément des vertus qui ne cesseront de nous charmer.

Si je ne vous dévoile pas mon identité dans l’immédiat, c’est justement pour préserver le manque de pudeur qui précède l’aveu fatal. Je ne pense pas que vous soyez une coquille vide. Même s’il est vrai que vous n’avez pas autant de vécu que moi, vous semblez pleine de bon sens. Je vous avoue aussi qu’une bonté et une générosité naturelles se dégagent de vos lettres. Et voilà, vous allez certainement m’accuser de déformation professionnelle ! On n’échappe pas à son destin.

Rassurez-vous, ma vie ne ressemble en rien aux romans du XIXème siècle. Flaubert, puisque vous le citez, prendrait peut-être ma vie en exemple, lui qui a si bien su transformer la destinée habituelle d’une femme en succès littéraire. Cependant, je suis dénué de tout talent pour narrer la mienne. On ne peut pas analyser les textes et les écrire. Mais j’aborderai ce sujet plus tard.

Vous devrez donc vous contenter de la réponse à la première question. Ma mère souffre d’un cancer du sein. Elle a été opérée une première fois, mais, hélas, cette chienne de maladie a repris ses droits et la voilà en phase terminale. C’est une épreuve difficile à traverser, ainsi que vous l’avez supposé. Mais le décès de ma sœur fut bien plus douloureux pour moi. Il y en a qui aimeraient mourir, d’autres qui n’ont pas ce choix à faire…

Bon, parlons de choses moins larmoyantes. Je remarque avec quel brio vous détournez la conversation qui ne devait se concentrer que sur vous. Encore de l’analyse à deux francs six sous… mais il n’empêche ! Vous refusez donc de vous ouvrir à moi, tout en souhaitant que je me dévoile davantage. Admirez un peu l’ironie de la situation !

A mon tour, donc, de vous poser quelques questions : avez-vous réfléchi à votre avenir professionnel ? Avez-vous déjà eu un petit ami ? Au moins, ça compenserait un peu vos amis absents.

Je vais de ce pas dénuder un peu plus Emma, vous m’avez mis l’eau à la bouche en évoquant cette héroïne contestée.

Cordialement,

J.

La suite…

Jeudi 15 février 2007

 Monsieur J.,

Je n’ai pas pour habitude de dialoguer avec un inconnu, mais ça me change de ne pas dialoguer du tout. Je vous remercie de l’attention particulière que vous avez apportée à mon « cas ». Au risque de vous décevoir, je ne suis pas au bord du suicide non plus. D’ailleurs, ce procédé serait bien trop vulgaire, et ma mort insignifiante aux yeux du monde.

En revanche, je crains que, si vous me répondiez de nouveau, vous ne mouriez d’ennui. Je vous présente donc mes excuses et mes condoléances à votre famille par avance.

Cordialement,

Sarah.

Lundi 26 février 2007

Mademoiselle Sarah,

C’est à mon tour de vous présenter des excuses : je n’ai pu vous répondre avant à cause des vacances scolaires.

Voyons, vous n’avez pas à présenter de condoléances à ma famille, vu que la seule que j’ai se  résume à une mère hospitalisée et à une ex épouse qui me déteste autant qu’elle m’a aimé. Et vous lire me procure une distraction qui me sauve de l’analyse quotidienne de notre belle littérature.

Connaissez-vous la théorie du papillon ? Chaque mouvement infime émis dans la planète a des répercussions exponentielles sur nous. Par là, je veux dire que la mort d’une personne n’est jamais anodine, car elle touche beaucoup de monde, même si vous n’en avez pas conscience.

De toute façon, vous êtes encore trop jeune pour vous déclarer désespérée. Votre vie n’est qu’à ses prémices. Quand vous en aurez connu, comme moi, les tempêtes, alors peut-être pourrez-vous pleurer sur votre sort.

En attendant, j’accepte volontiers d’engager cette correspondance.

Cordialement,

J.

Mercredi 7 février 2007

Je ne sais pas pourquoi je viens étaler ma vie ici. Il faut croire que je n’ai pas été capable de le faire suffisamment ailleurs.

Je m’appelle Sarah, et je suis étudiante en licence de Lettres Modernes. A la base, j’ai toujours été une élève travailleuse, même si mes résultats n’étaient pas à la hauteur de mes efforts.

Élève discrète, je ne me suis jamais souciée de sympathiser avec mes camarades de classe, car ils me considéraient alors comme une bête curieuse, trop attentive en cours, certainement, et pas assez attentive à eux. En réalité, je me cachais derrière mes devoirs et les cours pour les oublier. Je souffrais alors d’une timidité presque maladive.

Aujourd’hui, le problème se trouve inversé : quand on m’adresse la parole, j’ai tant de choses à dire que la personne prend peur devant ce flot de mots et finit par me fuir. Je me suis donc habituée à la solitude. D’où mes études de lettres. Je trouve un refuge dans des mots qui ne sont pas les miens. S’installe alors un dialogue incessant entre le texte et moi-même. L’avantage est que je tiens ce papier entre les mains ; il ne peut pas m’éviter, mais il ne peut pas m’entendre non plus.

Or, j’ai besoin de croire que quelqu’un, quelque part, saura m’écouter. Voyez-vous, Descartes a dit : « Je pense, donc je suis ». Mais est-ce que j’existe pour autant ? Quant à Sartre, il affirmait : « L’enfer, c’est les autres. » Moi, j’aimerais lui prouver le contraire. Mais, pour l’instant, je ne peux que reconnaître qu’il avait raison : par leur silence, je me suis enfermée dans un univers où je suis l’unique héroïne. Imaginez un peu : la terre peuplée de ma seule personne ! Bon, c’est vrai que c’est ennuyeux au bout d’un moment. Au moins, la solitude sera une garantie, et non plus un statut imposé par le regard des autres…

Quant à mes parents, j’ignore ce qu’ils pensent de moi. Ils ont l’air si dépassés par mon malheur qu’ils ne me répondent plus. Vous me répondrez sans doute que je peux aussi m’adresser à Dieu. Mais il semble qu’il ait pris des vacances depuis bien longtemps…et il faudrait que je sois croyante pour prier ! Certaines bonnes âmes m’ont conseillé de consulter un psychologue. Je n’en vois pas l’utilité, car ce dont j’ai envie est de me faire un ami.

Alors si vous trouvez cette lettre, je vous remercie d’avance de me permettre d’exister un peu  en partageant ces quelques pensées avec moi. Aidez-moi, s’il vous plaît

Avec toute mon affection,

Sarah.

Lundi 12 février 2007

Mademoiselle,

Une lettre vous attend au secrétariat de Lettres Modernes. Vous pouvez venir la récupérer à partir de 13h30.

Mme Barralle, secrétaire de Lettres

Vendredi 9 février 2007

Mademoiselle,

Votre lettre m’a touché par deux fois.

Je sortais de mes cours mercredi soir, et voilà qu’une enveloppe atterrit sur ma tête ! Je pensais tout d’abord que ce courrier était égaré, et j’étais prêt à le remettre au secrétariat. Mais comme vous le voyez, une curiosité mal placée m’a poussé à lire son contenu.

J’ai été très ému par votre message. Il faudrait être sourd ou manquer totalement d’empathie pour ne pas entendre votre solitude.

Je n’ai aucune prétention à pouvoir vous apporter du réconfort. Mais, si vous le souhaitez, vous pourrez laisser une autre lettre à Mme Dolibic, la documentaliste de la section Lettres de la bibliothèque universitaire. Je vous répondrai avec plaisir.

Cordialement,

J.